Article publié dans la publié dans la revue À bâbord !, no 76.
Les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) exercent déjà un contrôle sans précédent sur Internet. Afin de fidéliser leur future clientèle, ils utilisent aussi leur influence en matière d’éducation. Le matériel informatique, les logiciels, les services en ligne, les outils pédagogique et leur diffusion, certains programmes scolaires et même des méthodes pédagogiques portent leur marque.
Ces firmes ont mis en place des outils, des programmes de formation, de certification et de perfectionnement destinés exclusivement aux enseignantes et enseignants : « Apple Teacher », « Microsoft Innovation Educator », « Communauté des enseignants Microsoft », « G Suite for Education », « Google Classroom », « Amazon Inspire », « inspirED », « Facebook for Education », etc. De plus, elles dépensent des milliards en lobbying pour influencer l’élaboration des programmes scolaires – le plus souvent sans que leurs propositions aient des effets positifs. Au Québec, on assiste à l’intrusion silencieuse de Google dans les écoles primaires. En effet, on crée des comptes Google à de plus en plus d’élèves du primaire pour qu’elles et ils puissent participer à des activités scolaires utilisant des services Google – services qui n’ont rien de particulièrement innovants ou uniques et qui pourraient être remplacés par des logiciels libres équivalents. En plus de former de futurs utilisateurs et utilisatrices, Google récolte des données d’utilisation portant sur ces enfants. Comment espérer que l’éducation primaire assure le développement de l’esprit critique si elle utilise des technologies marchandes qui ciblent la clientèle des enfants avec la complicité des institutions scolaires ? Notons que l’influence de Silicon Valley sur les systèmes d’éducation ne s’arrête pas aux GAFAM. Plusieurs autres joueurs du monde informatique, de partout et de toute taille, imitent les grands et finissent par convaincre des vertus pédagogiques hypothétiques de leurs produits (ex : les tableaux blancs interactifs).
La saveur silicone
La philosophie pédagogique de Silicon Valley tend à préconiser l’apprentissage individualisé par l’action : plusieurs informaticiennes et informaticiens vous diront avoir appris leur art par eux-mêmes, hors du circuit scolaire. Les arguments proposés sont de trois types : mieux capter l’attention des jeunes pouvant être accros aux appareils électroniques ; permettre à chaque élève d’apprendre à son rythme selon son style ; et mieux les préparer au marché de l’emploi. On peut contester la réalité de chacune de ces prétendues vertus. Pourquoi ne pas utiliser l’école, par exemple, pour diversifier les stimulus des élèves qui sont accros aux écrans électroniques ? Puisque le monde informatique évolue si rapidement, pourquoi apprendre aujourd’hui ce qui ne sera plus pertinent demain ? Pourquoi s’engager dans cette voie, alors que l’enseignement basé sur les styles d’apprentissages a été mainte fois dénoncé comme un mythe inefficace ? L’influence de l’industrie informatique s’étend également sur les conditions de travail. Silicone Valley considère souvent la défense de celles-ci comme un frein à l’« innovation ». En prenant le secteur technologique comme modèle pour l’éducation, on choisit le secteur au plus bas taux de syndicalisation et celui qui encourage le plus la précarisation. Par exemple, la Fondation Bill et Melinda Gates proposait d’améliorer l’éducation à l’aide d’un programme où les enseignantes et enseignants étaient régulièrement évalués. Selon leurs résultats, ils et elles étaient passibles de congédiements. Selon une évaluation de la Rand Foundation, cette expérience d’une durée de six ans qui a coûté un demi-milliard a non seulement précarisé le corps enseignant, mais elle a aussi diminué les résultats scolaires des élèves ! En somme, si l’éducation à l’informatique et à son usage critique est nécessaire, elle doit viser l’émancipation des élèves et des enseignantes et enseignants. Tel n’est pas l’objectif des grandes firmes informatiques qui cherchent d’abord à fidéliser une future clientèle.