Pauvreté, un enjeu collectif

Nathalie Garceau, Audrée T. Lafontaine et moi-même avons coordonné le dossier Pauvreté, un enjeu collectif parue dans le no 99 de la revue à bâbord paru dans le no 99 de la revue à bâbord. Illustrations du dossier par Anne Archet Les textes du dossiers paraitrons sur le site de la revue dans les mois à venir.

Présentation du dossier

« Nous nous appauvrissons ! » Ce constat actuel et généralisé occupe de plus en plus d’espace médiatique, bien plus qu’au moment où le collectif de notre revue a envisagé pour la première fois de consacrer un dossier à la question de la pauvreté. La multiplication du nombre d’articles et de reportages traitant d’une manière ou d’une autre de cette question nous a réjoui·es – enfin on commence à dénoncer que certaines personnes vivent dans des situations inexcusables de pauvreté ! Cette couverture élargie nous a aussi inquiété·es : si les réalités de la pauvreté sont grandement exposées, les racines du problème semblent trop souvent écartées.

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(GAFAM) – Conclusions

Cet article a été initialement publié dans le numéro 97 de la revue à babôrd !

J’ai proposé précédemment dans cette série d’articles une synthèse de ce qui fait la domination des GAFAMs. Nous pouvons maintenant chercher ce qu’il y a de commun à leurs histoires respectives.

L’objectif initial de cette série était de résumer ce qu’on reproche concrètement à chacune de ces compagnies et de mieux comprendre la nature de leurs activités. Cela m’apparaissait nécessaire après avoir constaté que l’on confond parfois la critique des GAFAMs avec une critique des « médias sociaux », sans tenir compte de la diversité des activités de ces géants.

En guise de conclusion, nous chercherons à déterminer si le phénomène des GAFAMs est dû à une particularité du numérique ou bien s’il est l’effet naturel de la mécanique capitaliste.

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Lobbyisme des géants d’Internet

Cet article est initialement paru dans le dossier Lobbyisme. Le pouvoir obscur du numéro 95 de la revue à bâbord !

Il n'est guère surprenant que les géants d’Internet influencent le monde politique à leur avantage, comme le font toutes les entreprises possédant énormément de capital. Le lobbyisme a joué un rôle essentiel à leur développement, même si on voudrait nous faire croire que c’est la pure « innovation » qui en est la clé.

Le lobbyisme exercé par les géants d’Internet n’est pas très différent, dans ses grandes lignes, des stratégies d’influence politique des compagnies dominantes dans d’autres secteurs économiques : rencontres multiples avec des personnes ayant des charges publiques, financements de candidat·es politiques et de think tanks, campagnes de similitantisme, etc.

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GA(F)AM – La tyrannie de la popularité

Cet article a initialement été publié dans le numéro 94 de la revue à bâbord !

Si on compare les cinq géants technologiques par leur capitalisation boursière, Facebook arrive en dernière position. Difficile de quitter Facebook sans compromettre les liens avec nos proches.

Le site est lancé dans la controverse en 2004 comme outil de réseautage entre étudiantes et étudiants d’Harvard. L’utilisation de photos sans consentement a presque mené son créateur à l’expulsion de l’université. Le site sera par la suite offert à d’autres universités américaines pour être ouvert au public à partir de 2006. Il sera rejoint par un nombre de personnes en croissance régulière pour atteindre aujourd’hui 2,7 milliards d’utilisateur·rices actif·ves mensuellement, soit approximativement un tiers de la population mondiale. C’est le troisième site Web le plus visité et il est utilisé par près de 6 internautes sur 10. Un site aussi populaire est une mine d’or publicitaire que le géant exploite au maximum. Ainsi, près de la totalité de ses revenus de 118 milliards $ US en 2021 proviennent de la publicité ciblée affichée sur ses différentes plateformes (Facebook, Instagram, WhatsApp). À l’instar des autres géants technologiques, Facebook a pratiqué pendant des années l’évitement fiscal à grande échelle.

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Les positions syndicales implicites, un frein au changement ?

Cet article a été initialement publié dans le numéro 91 de la revue à bâbord !

Les différentes visions du syndicalisme ne sont pas suffisamment expliquées et débattues. Elles déterminent pourtant les orientations, les moyens d’action et même le fonctionnement des syndicats.

Les structures démocratiques des organisations syndicales québécoises sont généralement assez semblables. Le rôle et le fonctionnement de ces structures sont cependant interprétés de manière variable selon deux visions qui s’opposent, nommément, une conception verticale centralisatrice et une autre, horizontale et participative. Il faut se demander qui détermine les stratégies et les positions d’un syndicat : une « direction syndicale » élue, ou les membres, à travers les assemblées générales ?

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G(A)FAM – Le géant des des apparences

Cet article est paru initialement dans le no 93 de la revue à babord !

L'expression « GAFAM » désigne les cinq entreprises états-uniennes, toutes du secteur technologique, ayant la plus grande capitalisation boursière. L'entreprise qui domine ce palmarès est Apple.

En début d’année 2022, Apple a battu son propre record de capitalisation boursière, c’est-à-dire la valeur totale de toutes ses actions. Elle a franchi le cap symbolique de 3000 milliards, un sommet depuis la création des places boursières. Elle devance Microsoft, la seule autre entreprise dont la valeur dépasse 2000 milliards. Ces gigantesques montants ont de quoi étourdir tant il est difficile d’en apprécier la démesure. En 2020, la valeur d’Apple était, à elle seule, plus grande que la valeur combinée des quarante entreprises les plus importantes cotées à la bourse de Paris (CAC40). Ces valeurs boursières spectaculaires reflètent la foi des investisseurs en la capacité d’innovation d’Apple.

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GAFA(M) – Adopter, étendre, anéantir

Ce texte est paru dans le numéro 92 de la revue à bâbord !

Le troisième texte de cette série sur les GAFAM porte sur Microsoft, omniprésent dans le monde du travail et dont la stratégie technico-commerciale est féroce.

Microsoft naît en 1975 pour commercialiser un langage de programmation populaire sur les premiers ordinateurs personnels. Ce n’est cependant que quelques années plus tard que l’entreprise prendra véritablement de l’importance en profitant du projet d’IBM, un géant de l’informatique de l’époque, et se lancera dans le marché des ordinateurs personnels avec un nouveau concept. À l’aide d’un coup de pouce des influents parents du futur milliardaire Bill Gates, Microsoft réussira à vendre à IBM une licence permettant d’utiliser le système d’exploitation MS-DOS que Microsoft a acheté à une autre entreprise. Un système d’exploitation étant une composante immatérielle essentielle au fonctionnement d’un ordinateur, Microsoft comprend qu’il peut générer d’importants revenus en se rendant indispensable au fonctionnement de tous les logiciels créés pour les nouveaux ordinateurs personnels d’IBM, et détourne à son avantage la réputation d’IBM bien établie dans le milieu des affaires. Microsoft a la clairvoyance de préférer une entente lui assurant un revenu pour chaque ordinateur vendu avec son système, ce que ses critiques appellent la « taxe Microsoft ».

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(G)AFAM – Ne pas être malveillant?

Article paru dans le numéro 91 de la revue à bâbord !

En 2015, Google devient Alphabet, compagnie mère chapeautant une diversité d’entreprises et de services. Au moment de cette restructuration, le code de conduite de Google est modifié et ne comporte plus la devise « don't be evil », pilier de la culture de l’entreprise depuis 2000.

À l'origine, Google est une entreprise Web proposant un moteur de recherche basé sur un algorithme très performant, développé dans le cadre des études universitaires de ses fondateurs. Son efficacité redoutable pour trouver de l’information sur la toile naissante fait en sorte que Google éclipse rapidement la plupart de ses prédécesseurs. Son succès est tel qu’à partir de 2004, on commence à utiliser le verbe « googueler » pour signifier « faire une recherche sur le Web », et ce, dans plusieurs langues. Ainsi, Google est devenu un passage quasi obligé pour toute recherche d’information en ligne. Encore aujourd’hui, environ 87 % des requêtes d’information effectuées sur la toile utilisent Google.

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G(A)FAM – Amazon ou le capitalisme mégalomane

On critique souvent les GAFAM – Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft–, ces grandes entreprises ayant atteint un haut niveau de fortune et d'influence grâce à Internet. Au-delà de la grande diversité de critiques formulées à leur endroit, quel portrait général peut-on se faire de ces géants du Web ? Premier article d’une série exposant les problèmes que pose chacune de ces grandes entreprises.

Il peut sembler étrange de considérer Amazon comme un géant proprement numérique, au même titre que Microsoft ou Google. En effet, l’entreprise pourrait facilement passer pour une grande entreprise de vente en ligne et de distribution de livres et de biens matériels. Amazon a fait ses débuts, dès 1995, comme l’une des premières boutiques Web spécialisées dans la vente de livres. Son fondateur, Jeff Bezos, n’a pas choisi de vendre des livres par amour de la littérature, mais bien, de son propre aveu, par intérêt pour la croissance de son capital : il estimait que les bouquins étaient ce qui avait le plus de potentiel pour la vente en ligne. Au fil des ans, Amazon en viendra à vendre de tout.

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Sciences engagées

Voici la présentation d'un dossier sur la science que j'ai coordonné avec Élisabeth Doyon pour la revue À bâbord !

Depuis le début de la pandémie et plus qu’en toute autre circonstance auparavant, la science a été mise à l’avant-scène de notre quotidien. Jamais on n’a autant discuté publiquement de recherches scientifiques et de leurs résultats. Or, la rigueur intellectuelle exige un questionnement et un certain recul pour la validation des résultats scientifiques. La recherche en temps réel dont nous sommes les témoins peut paradoxalement créer une certaine confusion chez les non-scientifiques et les remises en question nécessaires à la progression des connaissances peuvent entraîner une perte de confiance envers les institutions et le discours scientifique.

Cette attente de résultats clairs et cohérents de la part de la science ne doit cependant pas occulter le fait que la recherche scientifique peut receler un parti pris politique, et ce, en dépit de son image de neutralité ou d’objectivité. Continuer la lecture de « Sciences engagées »

Sexe, robots et Harmony

Ce texte écrit par Isabelle Bouchard et moi-même a été initialement publié dans le numéro 83 de la revue À bâbord !

La présence de technologies dans l'univers pornographique n'est pas nouvelle. Toutefois, la récente mise en marché de robots sexuels utilisant les avancées récentes en intelligence artificielle invite à l'analyse et à la réflexion.

Harmony est une poupée sexuelle robotisée dotée d'une intelligence artificielle et conçue en Californie. C'est un robot qui est fabriqué pour ne devenir rien de moins qu'une partenaire de substitution, autant sur le plan strictement sexuel que sur le plan relationnel. Ainsi s'ouvre un tout nouveau marché de la relation à long terme, alors même que le couple est dans tous ses états. Ses créateurs misent sur l'idée que d'ici vingt ans, les humains puissent vivre « de réelles histoires d'amour » avec ces machines. Harmony est une poupée destinée avant tout à des partenaires masculins hétérosexuels, mais l'équivalent pour les femmes est disponible depuis peu. Actuellement, ce robot se détaille à près de 15 000 $ US.

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Jeux vidéos engagés

Le temps de l’engagement

Présentation du mini-dossier « Jeux vidéos engagés », dossier initialement publié dans le numéro 67 de la revue À bâbord !

Depuis quelques années, l’univers du jeu vidéo se transforme rapidement. Cette industrie est devenue au moins aussi importante que l'industrie du cinéma. Elle a rapporté aux États-Unis l'an dernier près de 23,5 milliards $US, le titre le plus populaire ayant rapporté à lui seul plus de 2 milliards $US – pratiquement autant que la production hollywoodienne Avatar. Les joueurs changent aussi : ils jouent de plus en plus sur des plateformes mobiles et la part des joueuses dépasserait maintenant de peu celle des joueurs selon des études. Au Canada, où cette industrie est importante, les développeuses de jeux vidéo ne représentent cependant que 16 % des travailleurs de l’industrie.

Le jeu vidéo a fait son entrée dans les musées comme le Museum of Modern Art de New York ou le Centre national d’art et de culture George-Pompidou, à Paris. Le monde universitaire l’étudie sous toutes ses facettes, comme nouveau média interdisciplinaire dans les facultés d’art et de littérature autant que d’informatique, ou encore comme phénomène social en sociologie ou en communications. Une scène active du jeu indépendant s’est aujourd’hui développée et explore les possibilités du jeu avec plus de créativité que l’industrie. Certain·e·s décident d’ailleurs de rendre les jeux qu’ils et elles produisent accessibles et modifiables par tous et toutes, créant ainsi des communautés de joueurs-développeurs. En outre, plusieurs ONG commandent la production de jeux pour sensibiliser le public à des enjeux qui les préoccupent. Des jeux sont ainsi produits pour apprendre, entraîner, sensibiliser ; on conçoit des documentaires interactifs sous forme de jeux.

Comme d’autres nouveaux médias ayant suscité à leurs débuts un certain scepticisme (le cinéma, la bande dessinée), le jeu vidéo est aujourd’hui reconnu comme un moyen d’expression d’idées sociales ou politiques à part entière. Voyons pourquoi.

Articles du mini-dossier

Quelle sécurité ? La criminalisation et l’impact de la violence sociale et étatique sur la liberté d’expression

Compte rendu d'un panel au Forum mondial des médias libres, initialement publié dans le numéro 65 de la revue À bâbord !

Depuis quelques années, le Forum mondial des médias libres (FMML) a lieu en marge du Forum social mondial. Les ateliers et tables rondes portent sur les « médias libres », terme assez large qui regroupe les organisations et personnes qui considèrent qu’il existe un droit fondamental à la communication et qui œuvrent à rendre l’accès à la communication le plus large possible. Les médias libres sont inclusifs, non orientés vers des objectifs économiques et abordent les thèmes mis en avant par les mouvements sociaux, syndicaux, universitaires ou culturels. Pour en savoir plus sur ce mouvement, on peut consulter la Charte mondiale des médias libres, élaborée et adoptée lors des éditions précédentes du FMML.

J’ai assisté au deuxième panel du FMML, intitulé « Quelle sécurité ? La criminalisation et l’impact de la violence sociale et étatique sur la liberté d’expression ». Pour les intéressé·e·s, un enregistrement vidéo de la rencontre est maintenant disponible en ligne.

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Points de vue syndicaux sur l’état de l’école primaire

Entrevue initialement publiée dans le dossier Ouvrir l'école du numéro 76 de la revue À bâbord !

Les enseignantes et les enseignants sont les principaux agents qui mettent en œuvre la mission de l’école primaire. Leurs syndicats ont donc un point de vue privilégié sur les enjeux de l'école primaire. Brigitte Bilodeau et Jacques Tondreau, respectivement vice-présidente de la Fédération des syndicats de l'enseignement (FSE-CSQ) et directeur du Service de l'action professionnelle et sociale de la CSQ, ainsi que Sylvain Mallette, président de la Fédération autonome de l'enseignement (FAE), répondent à nos questions.

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Le marché de la censure

Un article que j'ai écrit en 2005 pour le defunt Bulletin FACIL, que j'éditais à l'époque où j'étais membre du CA de FACIL, pour l'appropriation collective de l'informatique libre.
Censure sur Internet et informatique libre (PDF original)

Le marché de la censure

Plusieurs grandes transnationales de l’industrie informatique participent en Chine, en Tunisie et ailleurs dans le monde au marché grandissant de la mise en place de systèmes de surveillance des utilisateurs d’Internet. Ces corporations collaborent avec les régimes répressifs sans remords apparents quand des internautes sont emprisonnés. Par exemple, Microsoft, qui a récemment collaboré à la censure faite par le gouvernement chinois[1], a annoncé en août 2005 un partenariat avec le Comité d’organisation du Sommet mondial sur la Société de l’information (COSMSI). Le président du COSMSI est Habib Ammar, ancien général Tunisien dénoncé par Reporters sans frontières, l’Organisation mondiale contre la torture, l’Association suisse contre l’impunité et d’autres organismes internationaux de défense des droits de l’homme comme étant le principal responsable de la pratique de la torture en Tunisie dans les années 1980. Ces informations sont peu rassurantes pour l’avenir d’Internet quand on se rappelle que l’objectif du Sommet est de dresser un plan pour la construction de la « société de l’information », entre autres pour la gouvernance d’Internet. D’autres corporations comme Cisco systems, Sun Microsystems et Nortel au Canada ont aussi collaboré activement à la configuration de milliers de routeurs afin qu’ils détectent l’utilisation d’expressions interdites par les régimes pratiquant la censure et afin qu’ils empêchent l’accès à des dizaines de milliers de sites Internet à travers le monde.

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Endoctrinement technologique à l’école

Article publié dans la publié dans la revue À bâbord !, no 76.

Les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) exercent déjà un contrôle sans précédent sur Internet. Afin de fidéliser leur future clientèle, ils utilisent aussi leur influence en matière d’éducation. Le matériel informatique, les logiciels, les services en ligne, les outils pédagogique et leur diffusion, certains programmes scolaires et même des méthodes pédagogiques portent leur marque.

Ces firmes ont mis en place des outils, des programmes de formation, de certification et de perfectionnement destinés exclusivement aux enseignantes et enseignants : « Apple Teacher », « Microsoft Innovation Educator », « Communauté des enseignants Microsoft », « G Suite for Education », « Google Classroom », « Amazon Inspire », « inspirED », « Facebook for Education », etc. De plus, elles dépensent des milliards en lobbying pour influencer l’élaboration des programmes scolaires – le plus souvent sans que leurs propositions aient des effets positifs. Au Québec, on assiste à l’intrusion silencieuse de Google dans les écoles primaires. En effet, on crée des comptes Google à de plus en plus d’élèves du primaire pour qu’elles et ils puissent participer à des activités scolaires utilisant des services Google – services qui n’ont rien de particulièrement innovants ou uniques et qui pourraient être remplacés par des logiciels libres équivalents. En plus de former de futurs utilisateurs et utilisatrices, Google récolte des données d’utilisation portant sur ces enfants. Comment espérer que l’éducation primaire assure le développement de l’esprit critique si elle utilise des technologies marchandes qui ciblent la clientèle des enfants avec la complicité des institutions scolaires ? Notons que l’influence de Silicon Valley sur les systèmes d’éducation ne s’arrête pas aux GAFAM. Plusieurs autres joueurs du monde informatique, de partout et de toute taille, imitent les grands et finissent par convaincre des vertus pédagogiques hypothétiques de leurs produits (ex : les tableaux blancs interactifs).

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À la recherche du téléphone éthique

Article initialement publié dans la revue À bâbord !

Pour les militant·e·s de gauche, choisir un téléphone intelligent peut s’avérer une tâche complexe. Une variété de critères éthiques existe, mais il est difficile, voire impossible, de trouver un appareil pouvant les satisfaire tous. Est-il possible de changer les pratiques des grands fabricants et autres emblèmes de l’ère techno-capitaliste?

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Les sources de la montée de l’extrême droite en ligne

Ce texte a été publié dans le no 23 (Hiver 2020) des Nouveaux cahiers du socialisme. Il fait partie d'un dossier intitulé La droite : quelles droites ?.

La présence de l’extrême droite en ligne semble de plus en plus importante. Si on peut se surprendre de l’efficacité de la diffusion contemporaine des idées de l’extrême droite sur Internet, cette diffusion relève pourtant de stratégies de propagande qui ont été mises en place graduellement au fil des progrès technologiques. De plus, la « culture Internet » semble avoir contribué significativement à accroître la visibilité de l’extrême droite en ligne. Cette culture, à la fois modelée par les utopies futuristes d’un cyberespace libertaire et par une sous-culture élitiste du trolling1, s’est avérée un terreau fertile pour la droite radicale. Son influence est restée sous le radar médiatique jusqu’à ce que la victoire de Trump mette à l’avant-plan l’« alt-right2 » qui doit l’essentiel de son influence à la dynamique d’Internet et des médias sociaux et à laquelle on attribue parfois la victoire électorale de Trump.

Dès les origines d'Internet

Si le « réseau des réseaux » émerge graduellement dès le début des années 1970, son utilisation par le public est alors très marginale. On commence néanmoins dès l’origine à imaginer comment Internet allait devenir un lieu de partage du savoir et de liberté d’expression favorable à la mixité culturelle et à la tolérance… Or, avant même qu’Internet devienne publiquement accessible dans les années 1990, un premier BBS (bulletin board system3) néonazi, Liberty net, voit le jour. À la même époque, on trouve aussi des initiatives du même genre en Allemagne où des militants utilisent déjà des fichiers cryptés pour se protéger d’éventuelles fouilles policières. L’essai Résistance sans leader publié en 19834 par Louis Beam, promoteur américain de la suprématie blanche, popularise ainsi une stratégie de « résistance » décentralisée et difficile à freiner par les forces de l’ordre. Cette stratégie appelle aussi à la diffusion de matériel de propagande à la suite de différentes actions d’éclat comme des attentats. On verra l’influence de Louis Beam jusque dans le long manifeste de 2011 du terroriste norvégien Anders Breivik, 2083 : A European Declaration of Independence, diffusé après les attentats où il appelle les « mouvements de résistance » blancs à créer des sites Web et des pages Facebook. La popularisation de l’accès à Internet au milieu des années 1990 allait cependant déjà permettre de diffuser la propagande d’extrême droite à un niveau que ne permettaient pas d’atteindre les moyens traditionnels du tractage, des journaux, de la radio ou de la télé.

Les premiers groupes de discussion Usenet, un système décentralisé, se développent dans les années 1980 et 1990 et furent le principal lieu d’échange des premières générations d’internautes, ce qui en fera un lieu de propagande privilégié. Usenet fut aussi l’incubateur de la culture des trolls, qui cherchent à déclencher des débats houleux pour le simple plaisir de voir la discussion s’envenimer ou pour rebuter les nouveaux venu·e·s. Cette « culture troll » s’est développée dans plusieurs lieux d’échange plus récents et a construit des ponts avec l’extrême droite sur Internet, car comme les trolls, cette dernière utilise abondamment l’ironie ainsi que des codes « humoristiques » qui donnent le sentiment de faire partie d’une communauté.

Comme Usenet est le plus populaire lieu commun d’échange sur Internet, les groupes de discussion d’extrême droite s’y multiplient. Faciles d’accès5, ils sont fréquentés par des militants et militantes en quête d’influence. C’est le cas notamment de Don Black, un ancien du Ku Klux Klan, qui lance en 1996 le premier site Web néonazi Stormfront, ou de Marc Lemire, créateur du BBS canadien Digital Freedom. Engagé dans une saga judiciaire, Lemire réussira plus tard à faire invalider par la Cour suprême canadienne une partie d’une loi limitant la liberté d’expression de l’extrême droite en ligne. Des appels pour rendre difficile l’accès aux groupes de discussion d’extrême droite sont rapidement dénoncés comme de la censure, d’autant plus qu’Internet est perçu à ses débuts comme un monde autonome hors des réglementations étatiques.

Le Web de la haine

Internet se transforme rapidement au cours des années 1990 à la faveur de modifications réglementaires permettant la création de fournisseurs de service Internet, lesquels élargissent l’accès au réseau par le grand public, mais aussi l’accès aux forums Usenet qui deviennent des instruments de propagande d’une redoutable efficacité. De son côté, la création du Web a facilité l’accès aux ressources disponibles sur le Net en simplifiant entre autres la création de sites Web par toute personne ayant quelques connaissances informatiques. L’extrême droite ne ratera pas l’occasion. Le plus célèbre des sites de cette mouvance est Stormfront mis en ligne en 1996 – et toujours en ligne – par le suprémaciste blanc Don Black. Le Sourthen Poverty Law Center considère aujourd’hui le site de Black comme la « capitale virtuelle des meurtriers nationalistes blancs », plus d’une centaine de meurtres ayant été commis par certains de ses habitués6.

Le Web naissant ne servira pas qu’à la discussion : certains militants élaborent des pages personnelles et diffusent leurs propres écrits et collectionnent les liens vers des sites racistes. D’autres mettront en place des boutiques de musique en ligne qui serviront à tisser des liens entre groupes extrémistes à travers le monde. Les partis d’extrême droite ne sont pas longs à profiter d’un tel espace. Au Royaume-Uni, le parti ultranationaliste British National Party fonde dès le début du Web un site qui, encore aujourd’hui, est l’un des plus visités en comparaison de ceux des autres partis. En France, le Front national est le premier parti à disposer d’un site Web en 1996. Aux États-Unis, on comptait, dès la fin de la décennie 1990, plus de 2000 sites d’extrême droite de tout genre. Leur influence grandissante croît notamment avec la crédibilité que leur donne l’usage des mêmes logiciels que ceux d’autres sites respectés.

Blogues et agrégateurs

Au tournant des années 2000, les forums Web remplacent graduellement Usenet alors que les blogues se popularisent au point de devenir pour certains une source de revenus. Les médias traditionnels s’approprient ces nouveaux formats de publication Web et commencent à embaucher des « animateurs de communauté ». En 2003, grâce aux stratégies médiatiques d’un tel animateur, Stormfront voit son audience passer en une décennie de quelques milliers à plusieurs centaines de milliers. Des sites « agrégateurs » qui regroupent les publications de plusieurs autres sites facilitent la recherche puisque plusieurs publications et blogues au contenu similaire apparaissent sur une seule page. C'est le cas de breibart.com, à son origine un simple agrégateur de nouvelles conservatrices. Son influence est devenue telle qu'il fournit le premier conseiller en chef de Donald Trump. En France, le site fdesouche.fr connaît un succès semblable en proposant une sélection biaisée de nouvelles servant les propos de l'extrême droite. Se présentant comme une « agence de presse », le site Novopress (novopress.info) fondé à l’initiative du parti Les Identitaires prétend faire de la « réinformation7 ».

C’est aussi pendant cette période que se perfectionnent les boutiques en ligne. En 2005, un jeune diplômé danois fonde la maison d’édition Integral Tradition Publishing qui deviendra plus tard Arktos. Cette petite maison d’édition utilise habilement à la fois la diffusion numérique et imprimée de ses livres. La version électronique de ses ouvrages est maintenant aussi disponible sur le distributeur Amazon, ce qui leur donne une visibilité accrue. Elle publie notamment les écrits de Julius Evola, un auteur important de la pensée « traditionaliste ésotérique », ainsi que des auteurs de la nouvelle droite européenne comme Alain de Benoist. L’influence d’Arktos grandira au point d’être maintenant considérée comme un point de rencontre important entre l’alt-right américain, le nationalisme russe et la nouvelle droite européenne. Ses idées ont maintenant un impact dans les hautes sphères des puissances politiques internationales. En effet, la maison d’édition publie le traditionaliste russe Alexander Dugin, un conseiller du président russe Vladimir Poutine. Les idées de Julius Evola diffusées par Arktos auraient aussi influencé Steve Bannon, l’ancien conseiller de Trump.

Médias sociaux et expansion de la fachosphère

À la fin des années 2000, les blogues personnels et les forums Web ont progressivement été remplacés par les « médias sociaux », qui peuvent être considérés comme des sites combinant la publication de blogues simples et l’agrégation de ce qui est publié. De savantes stratégies de promotion et de fidélisation ont propulsé la popularité des médias sociaux commerciaux comme Facebook et Twitter, ou leurs équivalents ailleurs dans le monde8, au point où ils sont maintenant la source d’information principale de la majorité des utilisateurs et utilisatrices de Facebook et de Twitter. Ces stratégies et choix algorithmiques ont outillé les groupes d’extrême droite pour rejoindre encore davantage de publics et pour développer de nouvelles stratégies de promotion. Par exemple, les algorithmes de recommandations de YouTube ont déjà été identifiés comme vecteurs de propagation des discours d’extrême droite. En clair, tout usager ou usagère du site qui était déjà intéressé à des contenus libertariens ou conservateurs s’est vu suggérer le visionnement de vidéos faisant la promotion de la suprématie blanche ou de nationalistes extrémistes9.

En Amérique, l’épisode du gamergate est souvent considéré comme le point de départ d’une nouvelle dynamique. Le gamergate est une vaste campagne décentralisée contre l’influence du féminisme (et plus largement des « social justice warriors ») dans le monde du jeu vidéo. Les menaces visant des femmes journalistes furent nombreuses et violentes, passant souvent par la plateforme Twitter. Cela pourrait laisser penser que Twitter a joué un rôle central, mais en fait le gamergate a contribué à révéler une dynamique redoutable décuplant l’influence de l’extrême droite et lui permettant de recruter dans les rangs antiféministes et masculinistes. Ainsi les médias sociaux populaires ont servi de mégaphone et de terrain à des actions lancées à partir de forums moins connus tels 8chan, 4chan, Reddit, IRC, etc. Ces campagnes de harcèlement se déroulaient cependant sur des plateformes plus populaires comme Twitter, ce qui leur a donné un impact beaucoup plus grand que si elles s’étaient limitées aux utilisateurs et utilisatrices des plateformes plus marginales où elles étaient mises en place.

Le gamergate a profité à l’extrême droite américaine qui a su utiliser le potentiel de recrutement créé par une controverse ayant comme motivation centrale une aversion contre le « politiquement correct » et le féminisme. Le site Breitbart a embauché Milo Yiannopoulos comme chroniqueur techno pour rédiger de nombreux articles attisant la haine. C’est dans un article dont Yiannopoulos est coauteur que le terme alt-right a été popularisé et redéfini10 pour désigner ce mouvement de droite dont les frontières se limitaient encore à Internet avant l’élection de 2016. Nébuleuse critique du politiquement correct, antiféministe, anti-immigration et adepte du trolling, on tentait de dissocier l’alt-right de la droite radicale et violente, mais il fut récemment révélé qu’Yiannopoulos consultait secrètement des néonazis notoires pour la rédaction d’articles11.

À cet effet, le ralliement Unite the Right à Charlottesville en août 201712, pendant lequel une contre-manifestante a été tuée, visait à rendre active l’alt-right en dehors d’Internet. Le caractère outrageant des réactions de l’extrême droite à cet événement tragique aura au moins révélé qu’en dépit de ce qu’elle prétend, l’alt-right compte en son sein des néonazis influents comme Richard Bertrand Spencer

Liberté d'expression

La liberté d’expression sur Internet est un sujet de débat depuis des décennies. Il peut sembler surprenant que des sites ouvertement néonazis aient pu être accessibles publiquement pendant d’aussi longues périodes. Une partie du succès de la propagande d’extrême droite est que sa présence en ligne n’est pas secrète. Pour preuve, on peut facilement accéder aux discussions, textes, vidéos, baladodiffusions et autres sur des sites Web publics ou des plateformes bien connues comme Twitter, YouTube, 4chan, 8chan, etc. C’est la conception américaine de la liberté d’expression qui s’applique à beaucoup de ces sites, c’est-à-dire que tout discours qui ne contient pas d’appel explicite à la violence est toléré. Dans les cas où les propos tenus sur un site européen pourraient causer des problèmes, on met le site juridiquement à l’abri en l’hébergeant sur des serveurs américains. L’anonymat est une autre stratégie de protection. En effet, le sentiment de ne pas être identifiable incite à tenir des propos plus outrageants. Il est possible d’observer cette stratégie sur certains forums publics comme 4chan et 8chan, ou le groupe Blabla 18-25 ans du forum francophone jeuxvideo.com. Ce groupe de discussion a d’ailleurs été infiltré par le Front national en 2012 pour y diffuser ses idées13.

Certaines discussions sont cependant gardées secrètes. Dans ce cas, on utilise des groupes fermés, ce qui permet de limiter l’accès aux discussions à des personnes de confiance, ou on utilise des plateformes moins connues, mais tout de même assez fréquentées comme Discord, destinées principalement aux discussions entre adeptes de jeux vidéo. Cette plateforme est régulièrement utilisée comme lieu de communication privé en temps réel par les habitué·e·s de certains forums publics de Reddit, 4chan, ou d’autres. Gabriel Sohier Chaput, un Montréalais contributeur régulier du site néonazi Daily Stormer utilisant le pseudonyme Zeiger, s’est servi de Discord pour recruter et organiser à Montréal des rencontres de militants et militantes d’extrême droite14. La plateforme Discord a aussi été utilisée pour organiser le ralliement de Chalottesville ou pour préparer d’autres actions coordonnées visant à intimider des journalistes ou d’autres cibles.

Le débat sur la liberté d’expression en ligne n’est pas clos. La censure des propos haineux et de la manipulation de l’information sur les réseaux sociaux est limitée du fait que les réseaux sociaux les plus populaires sont la propriété d’entreprises privées qui, tout en cherchant à se dissocier des discours de l’extrême droite, profitent de l’engouement pour ceux-ci. Par ailleurs, la censure s’avère souvent inefficace : l’exil numérique permet en effet à certains groupes de se reformer sur d’autres plateformes moins connues ou même sur de nouvelles plateformes. Par exemple, Gab est un réseau social alternatif créé en dénonciation d’un biais anti-conservateur de Facebook et du « monopole » qu’aurait la gauche sur les médias sociaux15. Gab est devenu assez populaire pour avoir attiré le nouveau président brésilien Jair Bolsonaro qui y a maintenant un compte officiel lui permettant de conserver un lien avec des groupes de ses supporters bannis de Facebook.

Conclusion

L’influence de l’extrême droite sur Internet et les médias sociaux risque de s’accroître et de se transformer encore dans un avenir rapproché. Il importe donc d’en tenir compte pour comprendre la dynamique de cette mouvance politique puisque de nombreux groupes échappent notamment aux partis politiques. Le plus troublant est de constater que des groupuscules usant des mêmes stratégies (décentralisées) que celles utilisées par la gauche militante ont finalement un impact plus grand en termes de rayonnement et d’influence. Plusieurs facteurs peuvent sans doute expliquer cette situation paradoxale. Premièrement, on ne peut pas attribuer la montée de l’extrême droite uniquement à son utilisation d’Internet comme moyen de propagande. La causalité est possiblement inverse : la présence des discours d’extrême droite en ligne est un effet de la montée généralisée de son idéologie dans la société et de sa présence accrue dans les médias traditionnels. Ensuite, la gauche n’a probablement pas su utiliser Internet comme outil de militantisme comme l’extrême droite a pu le faire parce qu’elle ne s’est pas suffisamment intéressée aux nouveaux médias et que les stratégies décentralisées associées à Internet n’ont pas été suffisamment comprises ou mises à profit. La culture des trolls, considérée par certains comme la raison principale de l’impact de l’alt-right, a pu être plus facilement récupérée par l’extrême droite que par la gauche, mais elle est peut-être aussi amplifiée par le virage sensationnaliste des médias traditionnels16. Enfin, la nature même des objectifs de la gauche et de l’extrême droite peut expliquer le succès de cette dernière. De fait, il est beaucoup plus facile de diffuser une idéologie visant la division, la domination ou carrément la haine que de diffuser des idées de construction collective d’une meilleure société pour toutes et tous.

Propriété intellectuelle ? Tromperie intellectuelle !

*Cet article est paru dans le numéro 75 de la revue À Bâbord !

L’expression «propriété intellectuelle» est utilisée de plus en plus fréquemment depuis quelques décennies. Cette désignation terminologique est un dérivé du néolibéralisme, mais le terme est pourtant utilisé sans méfiance dans plusieurs milieux militants. Son usage donne une fausse légitimité au concept de «propriété des idées», concept auquel plusieurs s’opposent notamment lorsqu’il s’agit des brevets sur le vivant.

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Dossier — Bibliothèques: enjeux et mutations

Dossier #bibliothèques : enjeux et mutations dans la revue À bâbord. Coordonné par Anne Klein, Aline Crédeville, Olivier Charbonneau, Lëa Kim Châteauneuf, Sharon Hackett et moi-même.

Sommaire du numéro: https://www.ababord.org/Sommaire-du-no-73

Sommaire du dossier:

  • Quand la bibliothéconomie devient critique / Jean-Michel Lapointe et Michael David Miller
  • Rien n’est permanent, sauf le changement / Lëa-Kim Châteauneuf
  • Des jeux ? Voyons donc ! / Claude Ayerdi-Martin
  • Archives. Des alternatives à l’exclusion officielle / Anne Klein et Anaëlle Winand
  • Le droit de parole / Gaëlle Bergougnoux
  • La petite séduction ou les enjeux en région / Aline Crédeville
  • De l’éclatement au rassemblement / Sharon Hackett
  • Copibec ou la vie sauvage / Olivier Charbonneau
  • On n’a pas tous les livres, mais on n’en a que des bons / Collectif de la bibliothèque DIRA
  • Pour le libre accès aux publications scientifiques / Émilie Tremblay
  • Diversité et inclusion pour transformer les bibliothèques publiques / Marie D. Martel

L’informatique en démocratie directe

Entrevue avec Antoine Beaupré, membre du projet Debian. Propos recueillis par Yannick Delbecque. Entrevue publié dans la revue À bâbord, no 71, pp 24 et 25.

Le congrès annuel des développeur·e·s du système d’exploitation libre DebianDebConf 2017 – a eu lieu en août dernier pour la première fois à Montréal. Antoine Beaupré est Développeur Debian depuis 9 ans et utilisateur depuis 15 ans.

Logo DebConf2017

ÀB ! : Qu’est-ce que le projet Debian ?

Debian est un projet visant à développer un système d’exploitation, comme Windows ou MacOS. Cependant, Debian, c’est aussi un projet social. C’est une organisation d’environ 600 personnes – programmeuses et programmeurs, gestionnaires de systèmes, graphistes, spécialistes des communications, etc. Les participant·e·s au projet proviennent d’un peu partout dans le monde et développent principalement le logiciel Debian. Debian est un système d’exploitation pouvant être installé sur des ordinateurs portables, sur des serveurs et même, depuis peu, sur des téléphones intelligents.

ÀB ! : Qu’est-ce que DebConf ? Quel rôle joue ce congrès dans l’univers Debian ? Quel impact sur Montréal ?

DebConf est un congrès annuel portant sur le projet Debian, destiné aux développeurs Debian et à tous ceux et celles qui sont intéressé·e·s par le projet. DebConf est une forme d’excroissance de Debian, car le congrès est organisé de manière autonome au projet Debian lui-même. Le choix des villes où DebConf se déroulent est fait en respectant un principe d’alternance entre l’est et l’ouest du monde (le prochain congrès aura lieu à Taïwan).
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Propriétarisation de l’alimentation


Texte publié dans le dossier Repenser l’alimentation du numéro 64 de la revue à bâbord.

Le monde de l’alimentation risque-t-il la propriétarisation ? La propriétarisation est le processus qui permet de donner des propriétaires à des idées ou des choses qui devraient être des biens communs pouvant être librement utilisés et partagés. Le réflexe naturel est de considérer les connaissances liées à l’alimentation comme aussi importantes pour notre survie que l’eau et l’air, et donc aussi comme un bien commun.

Les brevets sur le vivant sont un moyen bien connu pour propriétariser certains aliments de base. L’utilisation de brevets dans le domaine alimentaire est cepen­dant plus diversifiée. La cuisine utilisant, pour transformer les aliments, des procédés chimiques et mécaniques brevetables, la moindre amélioration de ces procédés est souvent brevetée pour tenter d’en tirer des profits importants liés à l’exclusivité d’utilisation et à l’usage de menaces légales. Par exemple, le Montréalais Marcellus Gilmore Edson obtint un brevet en 1884 pour son procédé de fabrication du beurre d’arachide, et ce, même si cet aliment était déjà connu chez les Incas et les Aztèques. Cet aliment si courant en Amérique du Nord a depuis été l’objet de plus de 50 000 brevets ! En plus des améliorations mécaniques ou chimiques de la production du beurre d’arachide, on a breveté des « recettes » comme cette variante du traditionnel sandwich beurre d’arachide et confiture qu’ont produite deux Américains en 1999.

L’arsenal légal utilisé pour propriétariser la nourriture n’est pas limité aux brevets. Même si une simple liste d’ingrédients et d’instructions ne peut être l’objet du droit d’auteur, il est quand même possible de l’appliquer à un texte plus complet expliquant une recette ou une photo du plat qui en résulte. On utilise aussi les marques de commerce pour empêcher des concurrents d’utiliser des noms de plats, ou bien le secret industriel pour que certaines recettes restent… secrètes.

La force des mesures légales pouvant être utilisées pour s’approprier différentes facettes de notre alimentation peut être décuplée par l’effet des grands traités commerciaux conçus pour imposer au monde l’intérêt des multinationales, sans réellement tenir compte de leurs effets limitant la diversité alimentaire ou le partage de la culture culinaire. La propriétarisation de l’alimentation se met en place graduellement, à travers les poursuites abusives contre des concurrents potentiels ou de simples internautes désirant partager leurs découvertes gastronomiques.

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L’effet hacker sur la démocratie

par Yannick Delbecque1

Note: Cet article est initialement paru dans la revue Nouveaux Cahiers du socialisme no 17 « Démocratie : entre dérives et recomposition », hiver, 2017, pp. 181–189. Je tiens à remercier le comité d'édition de ce numéro pour leurs nombreux commentaires et nombreuses demandes d'éclaircissements sur la version initiale de cet article, sans lesquels cette version n'aurait jamais vu le jour!

L’arrivée de nouvelles technologies comme l’impression, le télégraphe, la radio ou la télévision a engendré des espoirs de transformations politiques relatives à la diffusion de l’information et à l’élargissement de la participation aux débats publics. L’usage de ces inventions a été l’objet de luttes  : l’État et quelques grandes corporations se sont donné un quasi-monopole sur leur utilisation en mettant en place des réglementations de plus en plus complexes. Si le marché a pu rendre ces nouvelles technologies disponibles à tous et à toutes, les possibilités d’appropriation citoyenne et militante de ces technologies se sont paradoxalement réduites. L’informatisation d’une part grandissante des activités humaines et l’arrivée d’Internet ont créé des espoirs similaires de renouveau démocratique par un accès plus facile à l’information et la multiplication des débats publics, mais également une même volonté de contrôle des États et des intérêts privés.

Quel sera l’impact de l’informatisation sur le processus démocratique  ? Dans le milieu dit hacker, formé par des exploratrices et des explorateurs créatifs des possibilités de l’informatique valorisant le partage du savoir et la libre collaboration, on considère depuis longtemps l’informatisation comme une opportunité de rendre beaucoup plus souples et directs les processus démocratiques actuels, considérés comme désuets et inefficaces. Dans ce texte, nous allons décrire les sources de cette conception hacker de la démocratie et voir dans quelle mesure elle influence les processus démocratiques actuels.

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Blockchain: vers une utopie cypherpunk

[article publié dans le numéro 70 de la revue À bâbord]

Si la cryptomonnaie bitcoin est maintenant relativement bien connue, la «blockchain» (littéralement «chaîne de blocs») est la technologie qui en permet l’existence. Prouesse technique anonyme, la blockchain sera-t-elle révolutionnaire?

À l’heure actuelle, il existe de nombreuses cryptomonnaies moins populaires que le bitcoin qui utilisent néanmoins toutes des variantes du principe de la blockchain. Si on critique avec raison le bitcoin et les autres cryptomonnaies comme moyens d’évasion fiscale et de spéculation débridée, la technologie blockchain ouvre cependant de nouvelles possibilités qui mériteraient d’être analysées et prises en compte par la gauche. Pour la décrire, certain·e·s n’hésitent d’ailleurs pas à utiliser le qualificatif « révolutionnaire »: on prédit qu’elle aura un impact au moins aussi grand que l’arrivée d’Internet dans la vie publique.
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