(GAFAM) – Conclusions

Cet article a été initialement publié dans le numéro 97 de la revue à babôrd !

J’ai proposé précédemment dans cette série d’articles une synthèse de ce qui fait la domination des GAFAMs. Nous pouvons maintenant chercher ce qu’il y a de commun à leurs histoires respectives.

L’objectif initial de cette série était de résumer ce qu’on reproche concrètement à chacune de ces compagnies et de mieux comprendre la nature de leurs activités. Cela m’apparaissait nécessaire après avoir constaté que l’on confond parfois la critique des GAFAMs avec une critique des « médias sociaux », sans tenir compte de la diversité des activités de ces géants.

En guise de conclusion, nous chercherons à déterminer si le phénomène des GAFAMs est dû à une particularité du numérique ou bien s’il est l’effet naturel de la mécanique capitaliste.

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S’affranchir de Facebook

Article de Claude Vaillancourt et moi-même, initialement paru dans le numéro 88 de la revue à bâbord !

Facebook a réussi l’exploit de s’imposer comme carrefour de communication indispensable, y compris auprès des groupes qui devraient être ses adversaires naturels. Comment en sommes-nous arrivés là et comment penser un militantisme qui aille au-delà des réseaux sociaux ?

Le livre noir de Facebook a été écrit plusieurs fois. Cette entreprise est l’une des plus puissantes au monde, et son expansion s’est faite sous le mode de la prédation. Elle attire vers elle les revenus de la publicité sans offrir de contenu original, au détriment des autres médias. Avec la complicité implicite de ses usagers, y compris les organisations du mouvement social, elle permet aux publicitaires d’entreprendre des campagnes mieux ciblées que jamais. Elle contribue à la diffusion de mensonges, de théories farfelues et de discours haineux.

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Lobbyisme des géants d’Internet

Cet article est initialement paru dans le dossier Lobbyisme. Le pouvoir obscur du numéro 96 de la revue à bâbord !

Il n'est guère surprenant que les géants d’Internet influencent le monde politique à leur avantage, comme le font toutes les entreprises possédant énormément de capital. Le lobbyisme a joué un rôle essentiel à leur développement, même si on voudrait nous faire croire que c’est la pure « innovation » qui en est la clé.

Le lobbyisme exercé par les géants d’Internet n’est pas très différent, dans ses grandes lignes, des stratégies d’influence politique des compagnies dominantes dans d’autres secteurs économiques : rencontres multiples avec des personnes ayant des charges publiques, financements de candidat·es politiques et de think tanks, campagnes de similitantisme, etc.

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GA(F)AM – La tyrannie de la popularité

Cet article a initialement été publié dans le numéro 94 de la revue à bâbord !

Si on compare les cinq géants technologiques par leur capitalisation boursière, Facebook arrive en dernière position. Difficile de quitter Facebook sans compromettre les liens avec nos proches.

Le site est lancé dans la controverse en 2004 comme outil de réseautage entre étudiantes et étudiants d’Harvard. L’utilisation de photos sans consentement a presque mené son créateur à l’expulsion de l’université. Le site sera par la suite offert à d’autres universités américaines pour être ouvert au public à partir de 2006. Il sera rejoint par un nombre de personnes en croissance régulière pour atteindre aujourd’hui 2,7 milliards d’utilisateur·rices actif·ves mensuellement, soit approximativement un tiers de la population mondiale. C’est le troisième site Web le plus visité et il est utilisé par près de 6 internautes sur 10. Un site aussi populaire est une mine d’or publicitaire que le géant exploite au maximum. Ainsi, près de la totalité de ses revenus de 118 milliards $ US en 2021 proviennent de la publicité ciblée affichée sur ses différentes plateformes (Facebook, Instagram, WhatsApp). À l’instar des autres géants technologiques, Facebook a pratiqué pendant des années l’évitement fiscal à grande échelle.

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G(A)FAM – Le géant des des apparences

Cet article est paru initialement dans le no 93 de la revue à babord !

L'expression « GAFAM » désigne les cinq entreprises états-uniennes, toutes du secteur technologique, ayant la plus grande capitalisation boursière. L'entreprise qui domine ce palmarès est Apple.

En début d’année 2022, Apple a battu son propre record de capitalisation boursière, c’est-à-dire la valeur totale de toutes ses actions. Elle a franchi le cap symbolique de 3000 milliards, un sommet depuis la création des places boursières. Elle devance Microsoft, la seule autre entreprise dont la valeur dépasse 2000 milliards. Ces gigantesques montants ont de quoi étourdir tant il est difficile d’en apprécier la démesure. En 2020, la valeur d’Apple était, à elle seule, plus grande que la valeur combinée des quarante entreprises les plus importantes cotées à la bourse de Paris (CAC40). Ces valeurs boursières spectaculaires reflètent la foi des investisseurs en la capacité d’innovation d’Apple.

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GAFA(M) – Adopter, étendre, anéantir

Ce texte est paru dans le numéro 92 de la revue à bâbord !

Le troisième texte de cette série sur les GAFAM porte sur Microsoft, omniprésent dans le monde du travail et dont la stratégie technico-commerciale est féroce.

Microsoft naît en 1975 pour commercialiser un langage de programmation populaire sur les premiers ordinateurs personnels. Ce n’est cependant que quelques années plus tard que l’entreprise prendra véritablement de l’importance en profitant du projet d’IBM, un géant de l’informatique de l’époque, et se lancera dans le marché des ordinateurs personnels avec un nouveau concept. À l’aide d’un coup de pouce des influents parents du futur milliardaire Bill Gates, Microsoft réussira à vendre à IBM une licence permettant d’utiliser le système d’exploitation MS-DOS que Microsoft a acheté à une autre entreprise. Un système d’exploitation étant une composante immatérielle essentielle au fonctionnement d’un ordinateur, Microsoft comprend qu’il peut générer d’importants revenus en se rendant indispensable au fonctionnement de tous les logiciels créés pour les nouveaux ordinateurs personnels d’IBM, et détourne à son avantage la réputation d’IBM bien établie dans le milieu des affaires. Microsoft a la clairvoyance de préférer une entente lui assurant un revenu pour chaque ordinateur vendu avec son système, ce que ses critiques appellent la « taxe Microsoft ».

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(G)AFAM – Ne pas être malveillant?

Article paru dans le numéro 91 de la revue à bâbord !

En 2015, Google devient Alphabet, compagnie mère chapeautant une diversité d’entreprises et de services. Au moment de cette restructuration, le code de conduite de Google est modifié et ne comporte plus la devise « don't be evil », pilier de la culture de l’entreprise depuis 2000.

À l'origine, Google est une entreprise Web proposant un moteur de recherche basé sur un algorithme très performant, développé dans le cadre des études universitaires de ses fondateurs. Son efficacité redoutable pour trouver de l’information sur la toile naissante fait en sorte que Google éclipse rapidement la plupart de ses prédécesseurs. Son succès est tel qu’à partir de 2004, on commence à utiliser le verbe « googueler » pour signifier « faire une recherche sur le Web », et ce, dans plusieurs langues. Ainsi, Google est devenu un passage quasi obligé pour toute recherche d’information en ligne. Encore aujourd’hui, environ 87 % des requêtes d’information effectuées sur la toile utilisent Google.

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G(A)FAM – Amazon ou le capitalisme mégalomane

On critique souvent les GAFAM – Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft–, ces grandes entreprises ayant atteint un haut niveau de fortune et d'influence grâce à Internet. Au-delà de la grande diversité de critiques formulées à leur endroit, quel portrait général peut-on se faire de ces géants du Web ? Premier article d’une série exposant les problèmes que pose chacune de ces grandes entreprises.

Il peut sembler étrange de considérer Amazon comme un géant proprement numérique, au même titre que Microsoft ou Google. En effet, l’entreprise pourrait facilement passer pour une grande entreprise de vente en ligne et de distribution de livres et de biens matériels. Amazon a fait ses débuts, dès 1995, comme l’une des premières boutiques Web spécialisées dans la vente de livres. Son fondateur, Jeff Bezos, n’a pas choisi de vendre des livres par amour de la littérature, mais bien, de son propre aveu, par intérêt pour la croissance de son capital : il estimait que les bouquins étaient ce qui avait le plus de potentiel pour la vente en ligne. Au fil des ans, Amazon en viendra à vendre de tout.

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Le marché de la censure

Un article que j'ai écrit en 2005 pour le defunt Bulletin FACIL, que j'éditais à l'époque où j'étais membre du CA de FACIL, pour l'appropriation collective de l'informatique libre.
Censure sur Internet et informatique libre (PDF original)

Le marché de la censure

Plusieurs grandes transnationales de l’industrie informatique participent en Chine, en Tunisie et ailleurs dans le monde au marché grandissant de la mise en place de systèmes de surveillance des utilisateurs d’Internet. Ces corporations collaborent avec les régimes répressifs sans remords apparents quand des internautes sont emprisonnés. Par exemple, Microsoft, qui a récemment collaboré à la censure faite par le gouvernement chinois[1], a annoncé en août 2005 un partenariat avec le Comité d’organisation du Sommet mondial sur la Société de l’information (COSMSI). Le président du COSMSI est Habib Ammar, ancien général Tunisien dénoncé par Reporters sans frontières, l’Organisation mondiale contre la torture, l’Association suisse contre l’impunité et d’autres organismes internationaux de défense des droits de l’homme comme étant le principal responsable de la pratique de la torture en Tunisie dans les années 1980. Ces informations sont peu rassurantes pour l’avenir d’Internet quand on se rappelle que l’objectif du Sommet est de dresser un plan pour la construction de la « société de l’information », entre autres pour la gouvernance d’Internet. D’autres corporations comme Cisco systems, Sun Microsystems et Nortel au Canada ont aussi collaboré activement à la configuration de milliers de routeurs afin qu’ils détectent l’utilisation d’expressions interdites par les régimes pratiquant la censure et afin qu’ils empêchent l’accès à des dizaines de milliers de sites Internet à travers le monde.

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Votre visage, future clé de votre vie privée?

Article initialement publié dans la revue À bâbord !, no 81 et dans Ricochet:

Dans un monde qui carbure à la sécurité, l’urgence de recourir à des moyens efficaces et inviolables pour authentifier les personnes prend l’allure d’une véritable quête. Des nouvelles technologies de reconnaissance des visages sont présentées par leurs promotrices et promoteurs comme des solutions séduisantes, mais elles génèrent aussi des inquiétudes légitimes.

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Endoctrinement technologique à l’école

Article publié dans la publié dans la revue À bâbord !, no 76.

Les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) exercent déjà un contrôle sans précédent sur Internet. Afin de fidéliser leur future clientèle, ils utilisent aussi leur influence en matière d’éducation. Le matériel informatique, les logiciels, les services en ligne, les outils pédagogique et leur diffusion, certains programmes scolaires et même des méthodes pédagogiques portent leur marque.

Ces firmes ont mis en place des outils, des programmes de formation, de certification et de perfectionnement destinés exclusivement aux enseignantes et enseignants : « Apple Teacher », « Microsoft Innovation Educator », « Communauté des enseignants Microsoft », « G Suite for Education », « Google Classroom », « Amazon Inspire », « inspirED », « Facebook for Education », etc. De plus, elles dépensent des milliards en lobbying pour influencer l’élaboration des programmes scolaires – le plus souvent sans que leurs propositions aient des effets positifs. Au Québec, on assiste à l’intrusion silencieuse de Google dans les écoles primaires. En effet, on crée des comptes Google à de plus en plus d’élèves du primaire pour qu’elles et ils puissent participer à des activités scolaires utilisant des services Google – services qui n’ont rien de particulièrement innovants ou uniques et qui pourraient être remplacés par des logiciels libres équivalents. En plus de former de futurs utilisateurs et utilisatrices, Google récolte des données d’utilisation portant sur ces enfants. Comment espérer que l’éducation primaire assure le développement de l’esprit critique si elle utilise des technologies marchandes qui ciblent la clientèle des enfants avec la complicité des institutions scolaires ? Notons que l’influence de Silicon Valley sur les systèmes d’éducation ne s’arrête pas aux GAFAM. Plusieurs autres joueurs du monde informatique, de partout et de toute taille, imitent les grands et finissent par convaincre des vertus pédagogiques hypothétiques de leurs produits (ex : les tableaux blancs interactifs).

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À la recherche du téléphone éthique

Article initialement publié dans la revue À bâbord !

Pour les militant·e·s de gauche, choisir un téléphone intelligent peut s’avérer une tâche complexe. Une variété de critères éthiques existe, mais il est difficile, voire impossible, de trouver un appareil pouvant les satisfaire tous. Est-il possible de changer les pratiques des grands fabricants et autres emblèmes de l’ère techno-capitaliste?

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L’informatique en démocratie directe

Entrevue avec Antoine Beaupré, membre du projet Debian. Propos recueillis par Yannick Delbecque. Entrevue publié dans la revue À bâbord, no 71, pp 24 et 25.

Le congrès annuel des développeur·e·s du système d’exploitation libre DebianDebConf 2017 – a eu lieu en août dernier pour la première fois à Montréal. Antoine Beaupré est Développeur Debian depuis 9 ans et utilisateur depuis 15 ans.

Logo DebConf2017

ÀB ! : Qu’est-ce que le projet Debian ?

Debian est un projet visant à développer un système d’exploitation, comme Windows ou MacOS. Cependant, Debian, c’est aussi un projet social. C’est une organisation d’environ 600 personnes – programmeuses et programmeurs, gestionnaires de systèmes, graphistes, spécialistes des communications, etc. Les participant·e·s au projet proviennent d’un peu partout dans le monde et développent principalement le logiciel Debian. Debian est un système d’exploitation pouvant être installé sur des ordinateurs portables, sur des serveurs et même, depuis peu, sur des téléphones intelligents.

ÀB ! : Qu’est-ce que DebConf ? Quel rôle joue ce congrès dans l’univers Debian ? Quel impact sur Montréal ?

DebConf est un congrès annuel portant sur le projet Debian, destiné aux développeurs Debian et à tous ceux et celles qui sont intéressé·e·s par le projet. DebConf est une forme d’excroissance de Debian, car le congrès est organisé de manière autonome au projet Debian lui-même. Le choix des villes où DebConf se déroulent est fait en respectant un principe d’alternance entre l’est et l’ouest du monde (le prochain congrès aura lieu à Taïwan).
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L’effet hacker sur la démocratie

par Yannick Delbecque1

Note: Cet article est initialement paru dans la revue Nouveaux Cahiers du socialisme no 17 « Démocratie : entre dérives et recomposition », hiver, 2017, pp. 181–189. Je tiens à remercier le comité d'édition de ce numéro pour leurs nombreux commentaires et nombreuses demandes d'éclaircissements sur la version initiale de cet article, sans lesquels cette version n'aurait jamais vu le jour!

L’arrivée de nouvelles technologies comme l’impression, le télégraphe, la radio ou la télévision a engendré des espoirs de transformations politiques relatives à la diffusion de l’information et à l’élargissement de la participation aux débats publics. L’usage de ces inventions a été l’objet de luttes  : l’État et quelques grandes corporations se sont donné un quasi-monopole sur leur utilisation en mettant en place des réglementations de plus en plus complexes. Si le marché a pu rendre ces nouvelles technologies disponibles à tous et à toutes, les possibilités d’appropriation citoyenne et militante de ces technologies se sont paradoxalement réduites. L’informatisation d’une part grandissante des activités humaines et l’arrivée d’Internet ont créé des espoirs similaires de renouveau démocratique par un accès plus facile à l’information et la multiplication des débats publics, mais également une même volonté de contrôle des États et des intérêts privés.

Quel sera l’impact de l’informatisation sur le processus démocratique  ? Dans le milieu dit hacker, formé par des exploratrices et des explorateurs créatifs des possibilités de l’informatique valorisant le partage du savoir et la libre collaboration, on considère depuis longtemps l’informatisation comme une opportunité de rendre beaucoup plus souples et directs les processus démocratiques actuels, considérés comme désuets et inefficaces. Dans ce texte, nous allons décrire les sources de cette conception hacker de la démocratie et voir dans quelle mesure elle influence les processus démocratiques actuels.

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Blockchain: vers une utopie cypherpunk

[article publié dans le numéro 70 de la revue À bâbord]

Si la cryptomonnaie bitcoin est maintenant relativement bien connue, la «blockchain» (littéralement «chaîne de blocs») est la technologie qui en permet l’existence. Prouesse technique anonyme, la blockchain sera-t-elle révolutionnaire?

À l’heure actuelle, il existe de nombreuses cryptomonnaies moins populaires que le bitcoin qui utilisent néanmoins toutes des variantes du principe de la blockchain. Si on critique avec raison le bitcoin et les autres cryptomonnaies comme moyens d’évasion fiscale et de spéculation débridée, la technologie blockchain ouvre cependant de nouvelles possibilités qui mériteraient d’être analysées et prises en compte par la gauche. Pour la décrire, certain·e·s n’hésitent d’ailleurs pas à utiliser le qualificatif « révolutionnaire »: on prédit qu’elle aura un impact au moins aussi grand que l’arrivée d’Internet dans la vie publique.
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Culture hacker, hacks et création, création politique et politique de la culture

Ceci est une version en ligne d'un texte qui a été publié dans le no 15 des Nouveaux cahiers du socialisme.

La numérisation graduelle de l’information de toute nature, la globalisation des canaux d’échanges d’information numérique et l’accès grandissant aux outils informatiques pour traiter et produire cette information ont eu un impact indéniable sur l’ensemble des activités humaines. Les processus et les échanges créatifs ont aussi été influencés par ces changements technologiques.

L’accès aux premiers ordinateurs a donné naissance à une culture dite « hacker », centrée sur l’exploration créative de leurs possibilités. Cette culture est celle des hackers et des autres bidouilleurs informatiques de tout acabit. La curiosité et l’inventivité des hackers ont contribué de manière importante au développement de l’informatique et d’Internet. Tout en valorisant l’accomplissement de créatives prouesses techniques (« hacks »), les hackers sont mus par la croyance que l’accès général aux ordinateurs, à un réseau global et à de nouveaux modes d’interaction humain-machine peut transformer radicalement toutes les sphères de l’activité humaine. Cet optimisme se butant à des limites juridiques faisant obstacle aux développements des possibilités positives de l’informatisation, les hackers ont, au fil des années, articulé différentes conceptions des conditions politiques permettant de perpétuer sans entraves l’exercice de la curiosité et de la créativité au cœur de leur culture et de promouvoir ce qu’ils conçoivent comme les possibles impacts sociaux positifs de l’informatisation. Cela s’est cristallisé dans une défense farouche du libre partage de l’information et d’une certaine forme d’anti-autoritarisme exprimée à travers la coopération volontaire et l’adoption de modes alternatifs d’organisation du travail.

En adoptant les nouveaux outils informatiques, plusieurs artistes ont été influencés par cette culture et l’ont intégrée de différentes manières dans leurs œuvres ou directement dans leur processus créatif, allant de la simple illustration de cette fascination pour l’informatique à une participation active au monde hacker par l’exploration créative des nouvelles possibilités techniques et le partage de leurs inventions. Cette adhésion a permis de donner une dimension politique à l’art numérique.

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Culture hacker, hacks et création, création politique et politique de la culture

Version augmenté de l'article publié dans le numéro 15 des nouveaux cahiers du socialisme.

La numérisation graduelle de l’information de toute nature, la globalisation des canaux d’échanges d’information numérique et l’accès grandissant aux outils informatiques pour traiter et produire cette information ont eu un impact indéniable sur l’ensemble des activités humaines. Les processus et les échanges créatifs ont aussi été influencés par ces changements technologiques.

L’accès aux premiers ordinateurs a donné naissance à une culture, dite « hacker », centrée sur l’exploration créative de leurs possibilités. Cette culture est celle des hackers et des autres bidouilleurs informatique de tout acabit. La curiosité et l’inventivité des hackers a contribué de manière importante au développement de l’informatique et d’Internet. Tout en valorisant l’accomplissement de créatives prouesses techniques (« hacks »), les hackers sont mû par la croyance que l’accès général aux ordinateurs, à un réseau global et à de nouveaux modes d’interaction humain-machine puissent transformer radicalement toutes les sphères de l’activité humaine. Cet optimisme se buttant à des limites juridiques faisant obstacle aux développements des possibilités positives de l’informatisation, les hackers ont, au fil des années, articulé différentes conceptions des conditions politiques permettant de perpétuer sans entraves l’exercice de la curiosité et de la créativité au cœur de leur culture et de promouvoir ce qu’ils conçoivent comme les possibles impacts sociaux positifs de l’informatisation. Cela s’est cristallisé dans une défense farouche du libre partage de l’information et d’une certaine forme d’anti-autoritarisme exprimé à travers la coopération volontaire et l’adoption de modes alternatifs d’organisation du travail.

En adoptant les nouveaux outils informatiques, plusieurs artistes ont été influencés par cette culture et l’ont intégrée de différentes manières dans leurs œuvres ou directement dans leur processus créatif, allant de la simple illustration de cette fascination pour l’informatique à une participation active au monde hacker par l’exploration créative des nouvelles possibilités techniques et le partage de leurs inventions. Cette adhésion a permis de donner une dimension politique à l’art numérique.
La culture hacker
Les hackers informatiques sont les héritiers des radios amateurs et des phreakers, les premiers étant ces bidouilleurs de l’électronique, pionniers du développement de la radio pendant une partie importante du 20e siècle, les seconds ayant exploité le fonctionnement du système téléphonique pour accomplir des prouesses techniques diverses. Comme leurs prédécesseurs, les hackers ont une soif de connaissance et de prouesses techniques assez grande pour conduire à ignorer ou contourner les règles qui feraient entrave à leur quête.
Les hackers respectent, implicitement ou explicitement, un certain nombre de principes. Les idées importantes transpirant des différentes listes de « principes hackers » 1 peuvent se résumer en trois facettes : la valorisation de la prouesse et de la créativité technique, la croyance que l’exploration des possibilités techniques générées par l’informatisation entraîne des changements positifs concrets dans nos vies, et enfin l’adhésion à une vision proche de l’humanisme du partage de l’information et de la liberté.
Impacts immédiats de l’informatisation

L’impact concret de l’informatisation découle simultanément de la mise en place d’un réseau global de communication, de la capacité accrue de traitement des données et de l’invention de nouvelles interfaces humain-machine. Chacune de ces facettes aura son influence sur le développement de la création numérique en général.
Les créateurs de divers horizons, souvent ingénieurs et scientifiques, ont commencé à utiliser les ordinateurs à des fins artistiques au début des années 1960. Ces premières œuvres sont souvent des hacks : elles reposent sur des utilisations détournées de ces premiers ordinateurs. Par exemple, les premiers écrans ont été utilisés pour afficher, au lieu de l’information prévue, des images dessinées par les premiers opérateurs. On a aussi construit des dispositifs complémentaires aux ordinateurs, comme des mécanismes produisant des dessins à partir de résultats de calculs. Dans certains cas, comme dans la musique de Iannis Xénakis, cette exploration initiale des possibilités artistiques de l’informatique exploitaient la nouvelle capacité de calcul qui permettait la création d’œuvres qui eurent été impossibles à réaliser sans l’aide d’ordinateurs.

Hackers et créateurs s’intéresseront aux interfaces d’utilisation des ordinateurs. De la programmation par cartes perforées aux derniers ajouts à l’interface graphique de nos téléphones intelligents en passant par la construction de drones, l’impression 3D et les dispositifs de réalité virtuelle, la manière de contrôler nos ordinateurs et d’en retirer de l’information a fait l’objet d’études nombreuses et se trouve souvent à la frontière de l’informatique, du design industriel et de la recherche artistique. Maints artistes et compositeurs ont exploité des interfaces existantes ou même créé de nouvelles interfaces. Ces expériences ont alimenté l’industrie : écrans tactiles, création de mondes virtuels, projections de toutes sortes, senseurs, nouveaux types d’interfaces musicales, etc. Ces nouvelles interfaces sont souvent présentées comme des « révolutions » pleines de promesses d’efficacité et de nouvelles expériences. Certains mettent en parallèle l’exploration des possibilités de ces interfaces avec l’usage d’hallucinogènes : l’interface, couplée à la capacité de traitement d’un ordinateur et à une connexion en réseau permet de vivre une expérience surréelle, pouvant par exemple prendre la forme d’un sentiment d’immersion totale ou d’une impression de fusion entre l’humain et la machine 2.
Le réseau global
La création d’Arpanet en 1969, le réseau qui évoluera technologiquement pour finalement devenir Internet tel que nous le connaissons maintenant, aura un effet déterminant sur l’univers des hackers. Initialement, le « net » ne sera accessible qu’à une poignée de personnes issues des mondes académique et militaire, mais il permettra rapidement aux clubs de hackers des différentes universités de communiquer entre eux, ce qui contribuera à créer une culture hacker plus globale. Des premiers lieux virtuels de collaboration et d’échange d’information seront ainsi développés, en particulier avec l’arrivée du courriel et des premières listes de diffusion en 1972 et des serveurs de fichiers FTP en 1971.
En 1971, alors qu’Arpanet interconnecte seulement 15 ordinateurs, Michael Hart lancera le Projet Gutenberg, un projet visant la numérisation et la diffusion de textes du domaine public. Ce projet sera le précurseur de toutes les bibliothèques électroniques 3. Toujours actif, il est également le premier le projet collaboratif à avoir utilisé Internet pour donner accès à une banque d’œuvres numérisées instituée collaborativement. Michael Hart a anticipé plusieurs préoccupations encore pertinentes aujourd’hui, comme la préservation des œuvres du domaine public et la question de l’impact de la capacité de duplication à l’infini des œuvres numérisées. sur l’accès à la culture.
L’arrivée des ordinateurs personnels dans les années 1970 mènera les hackers utilisateurs de ces nouveaux outils à créer leurs propres moyens d’échange. Bien que le réseau Internet se soit considérablement étendu au cours de sa première décennie d’existence, il était encore pratiquement inaccessible hors des sphères militaire, académique et corporative. Certains hackers, utilisateurs d’ordinateurs personnels, inventèrent leur propre réseau via les nombreux Bulletin Board Systems (BBS) (serveurs de messagerie et de fichiers) en utilisant les lignes téléphoniques comme moyen d’interconnexion, parfois en combinaison avec un accès limité à Internet. Les BBS ont été des plateformes importantes d’échange de logiciels « libérés » de leurs restrictions de partage et d’exécution. Une autre invention technique importante, Usenet, a été mise en place en 1979. Usenet est un forum mondial décentralisé de discussion et de partage organisé par groupes d’intérêt, précurseur des forums et de certains aspects des médias sociaux actuels. Initialement, Usenet était indépendant d’Internet comme les BBS ; il est toujours actif aujourd’hui.
Plusieurs des groupes de Usenet sont dédiés à la création numérique, à l’entraide technique, ainsi qu’au partage illégal de fichiers. La mise en place et la longévité de Usenet illustre une caractéristique importante du fonctionnement des groupes de hackers et des créateurs qu’ils influencent : face à des limitations techniques, ils n’hésitent pas à créer de nouveaux outils informatiques pour mettre en place différentes formes de collaboration et d’échange. Ces modes de collaboration deviennent souvent ce qui maintient une culture spécifique à un groupe et partagent certaines caractéristiques générales découlant de la culture hacker : la collaboration se veut volontaire, décentralisée et non-hiérarchique.
Dans ces zones virtuelles d’échanges comme Usenet et ses successeurs, la liberté d’expression est souvent une valeur commune centrale. Un exemple récent et politiquement significatif est le forum 4chan, où ont été créé de multiples « mêmes » faisant maintenant parti du vocabulaire graphique collectif et où les intervenants entretiennent une culture exacerbée du troll dans un esprit de liberté d’expression totale. Ce forum est aussi le lieu de naissance du mouvement Anonymous, lancé par des participants de 4chan qui ont commencé à participer à des actions « dans le monde réel » 4.
Cracks et scène démo
La scène démo est une conséquence artistique de l’arrivée des ordinateurs personnels à la fin des années 1970, combinée à la mise en place de réseaux permettant l’échange de fichiers 5. Les crackers, hackers spécialistes en mécanismes de sécurité opérants seuls ou en groupes sous divers pseudonymes, distribuent des versions des logiciels sans les protections contre la copie qui en empêchaient techniquement le partage. Une tradition s’est rapidement mise en place : signer les prouesses techniques en ajoutant un logo, une image ou même une animation aux logiciels distribués. Une compétition s’est progressivement installée, les animations étant de plus en plus évaluées à l’aide de critères techniques et esthétiques, chacun tentant d’utiliser au maximum le potentiel des composantes de ces premiers ordinateurs personnels aux performances très limitées. Ces intro et démo servaient aussi de moyen de propager un message de résistance : le partage de logiciels étant conçu comme légitime, ils annoncent que les tentatives répétées de limiter le partage de logiciels à l’aide de moyens techniques variés seront toujours combattues. Alors que l’accès public aux ordinateurs personnels grandissait, et donc alors que la demande de logiciels divers pour utiliser ces ordinateurs était elle-même croissante, la répétition de ces messages allait constituer durablement une critique pragmatique, même si parfois peu articulée, du mode de production et de distribution des programmes informatiques. Le geste même de contourner les dispositifs visant à limiter le partage de fichiers est à mettre en parallèle avec le sabotage industriel. Les intro et démos imitent les logos et l’image corporative en général en dotant les crackers de leurs propres identités sonores et visuelles. Fait notable : les groupes de crackers changeront régulièrement leur identité visuelle, sans doute par jeu créatif mais aussi en opposition à la permanence des marques dont ils combattent les pratiques.
À long terme, la production de démos devint progressivement indépendante de la scène du partage illégal de fichiers, se centrant sur la recherche esthétique et les prouesses techniques. Une part de l’influence du mouvement restera plus politique. En musique, par exemple, une association entre hackers et le mouvement punk dans les années 1980, parce que ces deux mouvements ont en commun une attitude do-it-yourself. Le résultat sera le 8 bits, genre musical où la musique est générée à l’aide de différentes consoles de jeux portatifs ou de vieux ordinateurs détournés ou hackés – souvent illégalement – pour éviter l’usage de logiciels coûteux de production musicale.
Ces musiciens-hackers seront aussi stimulés par le défi technique que représente l’utilisation musicale du potentiel sonore limité des consoles de jeux ou de puces de sons des premiers ordinateurs personnels. Les sonorités 8-bits ont été graduellement intégrées dans plusieurs genres de musique populaire, où elles évoquent toujours un peu les idées d’appropriation et de transgression associé à la culture des hackers et des crackers, de l’univers des jeux vidéo et de la scène démo.
Le cyberpunk
Durant années 1980, l’opposition entre crackers et corporations deviendra le thème central d’un sous-genre de science-fiction : le cyberpunk. Le roman Neuromancer de Wiliam Gibson6, livre phare du genre, présente les cyberpunks, jeunes hackers experts navigant dans le cyberespace, conçu comme une forme hybride de réseau global et de réalité virtuelle. Ces cyberpunks opèrent de manière furtive et décentralisée et sont en lutte contre des organisations contrôlant la circulation de l’information. Cette vision de l’impact futur de l’informatique diffère de l’optimisme initial inhérent à la culture hacker, mettant de l’avant une possible appropriation néfaste des nouvelles technologies par les gouvernements et les corporations. Cette représentation présente la nouvelle génération de jeunes hackers ayant grandi avec l’accès aux ordinateurs personnels, Usenet et les BBS comme des résistants naturels rompus à la lutte.
Le cyberpunk influencera les premiers collectifs artistiques militants via un Internet de plus en plus accessible à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Cette influence s’exercera notamment par le biais les différents films et ouvrages revendiquant l’influence du genre. Ceux influencés par ce genre ont été parmi les premiers à remette en question le pouvoir des corporations sur la production et le partage de l’information. L’influence de la culture cyberpunk sur les différents mouvements de la culture hacker a été très grande et se fait encore sentir aujourd’hui. À titre d’exemple, les livres Chaos & Cyberculture de Timothy Leary et Cypherpunks, freedom and the future of Internet dirigé par Julian Assange 7. Ce dernier ouvrage fait d’ailleurs référence aux Cypherpunks, ces hackers du début des années 1990 qui proposaient d’utiliser l'encryption des communications pour les protéger de la surveillance. De l’aveu même de Gibson, le cyberpunk n’est plus de la science-fiction : il y a maintenant des mouvements comme Anonymous qui ont plusieurs caractéristiques cyberpunk et nous savons aujourd’hui que les corporations et les gouvernements accumulent des montagnes de données sur le comportement des utilisateurs d’Internet.
Les thèmes abordés dans le courant cyberpunk seront repris par plusieurs créateurs. Dans la scène musicale underground occupant les espaces abandonnés dans un Berlin fraîchement réunifié, un groupe musical comme Atari Teenage Riot utilisera une musique électronique intégrant des idiomes 8-bits et glitch pour accompagner un message antifasciste et antiautoritaire, et en référant parfois nommément à l’idée de cyberespace.
Net.art et Art glitch
L’art Internet est une forme d’art utilisant le réseau de manière essentielle. Un mouvement d’artistes Internet appelé Net.art a débuté en Europe de l’est au début des années 1990, dans le contexte de la fin de l’URSS. Il se voulait à l’origine une critique de la démocratie capitaliste et une réflexion sur l’idée qu’Internet puisse constituer un modèle de démocratie. Le mouvement net.art s’est développé au moment où débutait le Web et avec l’arrivée de fournisseurs commerciaux de service Internet qui ont rendu Internet accessible au grand public au prix d’une commercialisation tous azimuts. Les œuvres du mouvement rappellent que la réalité vécue via les interfaces des logiciels de communications que nous utilisons, par exemple pour naviguer sur le Web, sont des constructions contrôlées par de grandes corporations. Elles le font en détournant ces constructions à l’aide de différents hacks. Ces œuvres n’étant souvent accessible que sur Internet, elles sont aussi considérées comme une critique du système traditionnel de distribution de l’art. Certains de ces artistes de l’art Internet se considèrent comme des« hackers de la culture » et décrivent leurs différentes activités comme de l’hacktivisme de l’art.
Le mouvement Net.art est toujours actif 8. Le Radical Software Group a ainsi détourné le programme DCS1000, utilisé par le FBI pour faire surveillance électronique, pour en faire un logiciel appelé Carnivore 9. Cette version détournée surveille le trafic issu d’un serveur local afin de pouvoir interpréter les données collectées de manière artistique. Qui plus est, l’art Internet a aussi donné naissance à un contre-courant, l’art post-Internet. Partant du constat que le réseau global est maintenant omniprésent, cet art cherche à représenter l’effet d’Internet sur nos vies à l’aide d’œuvres physiques (livres, tableaux, etc). Cela est conçu comme une critique l’importance que certains ont donné à Internet comme force de transformation sociale.
Une autre forme d’art numérique sert à lever le voile sur l’expérience de l’utilisation de logiciels. L’art glitch est composée d’œuvres utilisant le résultat produit par des problèmes techniques pour produire une œuvre originale 10: un appareil brisé génère une image ou un son altéré où l’on reconnaît l’effet d’un problème technique ou d’une erreur de programmation. Certains ont simplement utilisé des glitchs accidentels, d’autres en ont volontairement provoqué afin de les utiliser de manière détournée. Dans les deux cas, les créateurs le font pour la valeur esthétique des glitchs et pour leur capacité à briser cet effet d’immersion par lequel nous devenons inconscients du fonctionnement technique des outils informatiques que nous utilisons et pour protester contre l’obsolescence programmée.
Jeux vidéo
Le jeu vidéo est maintenant considéré comme une forme nouvelle d’expression artistique 11. Les premiers jeux vidéo étaient, à l’instar des premières créations numériques, des utilisations détournées et inventives des ordinateurs. Certains jeux sont ainsi des formes de hacks par l’utilisation astucieuse qu’ils font de ressources limitées pour créer une interaction intéressante. De plus, les jeux vidéo sont souvent associés à de nouvelles interfaces ou peuvent se dérouler en réseau, ce qui permet de faire l’expérience de nouvelles idées informatiques. L’univers des jeux vidéo a donc toujours été proche de celui des hackers.
Bien que la production de jeux soit dominée par les titres commerciaux, une scène indépendante existe, produisant par exemple des jeux à thématiques politiques. Certains de ces jeux visent à provoquer une prise de conscience politique en exploitant les effets d’immersion et d’identification aux protagonistes 12. Les jeux massifs en ligne, où des milliers de joueurs interagissent en temps réel dans un environnement virtuel, ont parfois été la scène de manifestations virtuelles visant à contester certaines décisions des administrateurs du serveur, ou encore pour manifester concernant des enjeux sociaux du monde réel.
Zones autonomes temporaires
L’auteur anarchiste Hackim Bey13 a introduit le concept de Zone autonome temporaire (TAZ) au début des années 1990, en revendiquant à la fois l’influence de l’organisation des enclaves autonomes où vivaient les pirates du 17e siècle que celle des espaces virtuels autonomes sur Internet. Parmi les idées ayant aidé à l’élaboration du concept de TAZ, Hackim Bey réfère notamment à la vision cyberpunk d’îlots autonomes du monde réel mis en place à l'aide du cyberespace. Le concept de TAZ se veut une critique des idées révolutionnaires classiques visant l’émergence de zones autonomes permanentes, en leur substituant une stratégie de mise en place immédiate et décentralisée de zones temporaires de liberté, où tous et chacun pourront faire l’expérience concrète d’interactions libres et non-hiéarchisées.

Les Raves, ces fêtes libres nées à la fin des années 1980, sont considérées par Hackim Bey comme des exemples de TAZ. Organisés par des collectifs d’artistes et axées sur l’expérience la musique électronique, ils se déroulent le plus souvent dans l’illégalité dans des lieux abandonnées comme des entrepôts désaffectés de Manchester ou des édifices abandonnés de Berlin est. L’éclosion des Raves est vue par certains comme étant la conséquence de bouleversements politiques importants comme les effets sur les jeunes britanniques du déclin du syndicalisme sous Thatcher, ou ceux de la chute du mur de Berlin sur les jeunes allemands 14. Les raves seraient ainsi la réponse à un besoin collectif de retrouver un sentiment d’union de classe. Répétitive et dépouillée, la musique électronique que l’on peut entendre dans les raves s’amalgame aux effets des drogues populaires dans ces fêtes libres pour permettre aux participants de vivre une expérience collective unique. Étant donné leur interdiction par les autorités, les raves étaient souvent clandestins, les organisateurs devaient donc annoncer le lieu exact d’une fête que peu de temps avant son début et en utilisant des canaux alternatifs à cette époque, dont la messagerie texte et Internet. En 1994, une loi britannique qui interdisant les raves est adoptée. Les défenseurs du mouvement rave y réagissent en organisant une action internationale nommée Intervasion qui consistait à bombarder les boîtes courriels et les sites gouvernementaux de courriels et de requêtes, notamment à partir des premiers cybercafés londoniens et avec l’aide d’activistes informatique américains. Cette action fût probablement la première forme de désobéissance civile internationale organisée via Internet.

Culture du remix

À la fin des années 1970, la musique électronique a trouvé un autre point de rencontre avec d’autres genres musicaux initialement contestataires sur les pistes de danse. Les premiers musiciens Hip-hop revendiquaient de ne plus être de passifs consommateurs, mais aussi des producteurs de culture. Outre la recherche de sonorités nouvelles, une des caractéristiques importantes du hip-hop est le remix, l’utilisation créative de matériel issu des œuvres des autres musiciens. Produit au départ à l’aide de tables tournantes et de consoles (parfois modifiées ou hackées selon les besoins créatifs), le hip-hop intégrera dans les années 1980 l’usage de l’échantillonnage numérique de passages musicaux pour les réutiliser de manière créative.

Le remix relève un peu du hack et ne se limite pas à la musique : l’art visuel abonde de collages numériques divers, conçus à partir d’éléments tirées issus du travail d’autres créateurs. Certains blogueurs utilisent aussi différentes formes de remix textuels. Le concept est aussi appliqué pour le jeu vidéo, dans ce cas appelé « art mod » : des modifications de jeux connus sont publiées (souvent illégalement), parfois à des fins purement artistiques ou ludiques, mais parfois aussi à des fins politiques, comme pour rétablir des fonctionnalités censurées ou pour introduire une dimension subversive au jeu.

Les défenseurs du libre partage de la culture ont repris l’idée de remix, parce qu’il est l’illustration de possibilités créatives pouvant être rendues impossibles par les velléités légales de contrôle sur les œuvres. Le remix est peu à peu devenu une théorie, dont une des thèses principales est que toute création est une forme de remix construite à partir d’autres créations15. La conséquence politique de cette conception est que toute contrainte légale au processus de réappropriation limite la créativité et devrait être supprimée. Selon Laurence Lessig, juriste qui a lancé le mouvement Creative Commons, Internet et la numérisation ont transformé notre rapport à la culture : maintenant, le remix va de soi et la diffusion des œuvres est organisée en une forme d’économie du partage. 16

Luttes légales et politiques
À ses débuts, l’univers des hackers s’est développé de manière informelle. L’enthousiasme pour l’utilisation astucieuse des techniques informatiques et pour l’exploration de ses possibilités s’est toutefois peu à peu heurté à des règles diverses de plus en plus contraignantes, allant de clauses contractuelles empêchant les programmeurs de partager librement de l’information sur les systèmes qu’ils utilisent à des lois qui interdisent explicitement le développement de hacks. Au nom des intérêts commerciaux, cette répression s’est faite de plus en plus forte, allant même jusqu’à l’emprisonnement 17. Cette pression répressive a poussé certains acteurs à organiser diverses ripostes politiques.
L’exemple le plus important est l’idée de « logiciel libre » qui garantissent à tous les libertés de pouvoir les utiliser, les partager, les modifier et de partager des versions modifiés.18 Ce concept été élaboré par Richard Stallman, un des hackers issu du MIT. Les libertés associées aux logiciels libres sont garanties par un « hack légal » : le droit d’auteur est utilisé en inversant son utilisation typique de propréatisation temporaire des œuvres pour donner à tous, par une licence d’utilisation spécialement conçue à cet effet, les garanties associées à l’idée de logiciel libre 19, Afin de mieux protéger le bien commun ainsi créé, Stallman introduira dans les licences des logiciels de ses projets une condition supplémentaire aux quatre conditions de base définissant un logiciel libre :tout logiciel dérivé d’un logiciel déjà libre doit lui aussi être libre. on qualifie en anglais ce type de contrat de « copyleft » pour bien marquer l’opposition au « copyright ».
Cette idée de logiciel libre sera plus tard adaptée au contexte de la création artistique. Le concept de musique libre s’en inspirera explicitement 20, ainsi que le mouvement Art libre 21 et le mouvement Creative Commons 22. Ces artistes ont cherché à organiser leurs propres réseaux de partage de leurs créations en utilisant Internet, tout en se questionnant sur les moyens de soutenir financièrement leur démarche. Ce questionnement, parallèle à un questionnement similaire dans le monde des logiciels libres, a mené à différentes expériences pour soutenir la création de manière alternative. Certaines de ces expériences ont devancé des idées maintenant connues du grand public, comme le sociofiancement et les galeries et les librairies en ligne 23. De telles expériences visent à soutenir un projet ou un groupe désireux de libérer leurs productions artistiques, tout en se libérant des influences gouvernementales et corporatives.
L’ensemble de ces mouvements informatiques et artistiques en est venu à être désigné de manière générale comme le « mouvement du libre » 24. Ses acteurs participent maintenant aux réflexions sur les réformes du droit d’auteur, l’utilisation équitable, l’utilisation de brevets dans le monde informatique, et la préservation du domaine public. Le monde du libre a rapidement considéré d’autres causes comme connexes à ses préoccupations. Internet étant devenu un des principaux moyens de partage d’information, mais aussi un outil de surveillance globale pouvant limiter la liberté d’expression, les libristes sont préoccupés par le respect de vie privée et la censure sur Internet, ainsi que l’autonomie et la neutralité du réseau.
L’analyse d’Eben Moglen résume bien comment les libristes peuvent concevoir leur lutte comme fondamentale : selon lui, si la liberté de conscience s’incarne en particulier dans la liberté d’expression, cette dernière doit elle-même pouvoir être exercée concrètement et librement. Pour Moglen, seuls les logiciels libres nous assurent présentement qu’Internet, qui devient peu à peu le principal moyen de communication de l’humanité, restera libre et accessible à tous, sans discrimination 25. Dans sa nouvelle intitulée Le droit de lire 26, l’initiateur du mouvement du libre Richard Stallman a utilisé la science-fiction comme moyen de sensibiliser le public à certains enjeux fondamentaux concernant liés aux logiciels. Bien qu’elle ne soit pas énoncée aussi explicitement, sa perspective est similaire à celle de Moglen : l’exercice concret de la liberté de conscience dépend désormais de nos choix politiques en matière de technologies.
Le mouvement du libre et les autres mouvements partageant les idéaux de la culture hacker ont contribué à faire connaître leurs revendications politiques via des canaux officiels, soit par l’entremise de consultations gouvernementales ou à l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. Les partis pirates, dont le premier fondé en Suède par des défenseurs du site de partage de fichiers The Pirate Bay, ont maintenant des élus dans différentes mairies et parlements, dont le parlement Européen 27. La création elle-même a souvent servi à combattre les lois et jugements liberticides : ainsi, lorsque qu’en 2000 un juge américain a interdit la diffusion du code source du logiciel DECSS, qui permet de déverrouiller l’information contenue sur un DVD, plusieurs activistes ont créé de le publier sous forme de versions chantées, de films, et de poésie afin de souligner l’absurdité de la décision et son effet négatif sur la liberté d’expression 28. Le remix est aussi utilisé comme une forme de défi à l’interprétation limitée des dispositions du droit d’auteur concernant l’utilisation équitable.
Les défenseurs du libre et du domaine public 29 articuleront plusieurs critiques relatives au droit d’auteur, faisant des héritiers de la culture hacker les rares personnes à prendre la parole dans les débats pour défendre l’intérêt public face à l’intérêt des corporations culturelles. Les alternatives proposées vont de la simple diminution de la durée de la propriétarisation temporaire du savoir et de la culture à son abolition totale 30 ; elles demeurent généralement mal comprises des artistes, car le système culturel actuel soutient la création à l’aide de mécanismes capitalistes auxquels il peut être difficile à imaginer des alternatives. De plus, plusieurs confondent la propriétarisation via les mécanismes le droit d’auteur et la reconnaissance de la paternité d’une œuvre, pensant à tort qu’une transformation du droit d’auteur en faveur de l’intérêt public les priveraient de cette reconnaissance.
Conclusion
La culture hacker a influencé la création artistique, autant dans ses procédés que dans l’organisation du travail créatif. Les aspects politiques importants de l’univers des hackers ont été repris par plusieurs artistes, qui les ont aussi défendus : importance du partage de l’information et de la culture, valorisation de l’appropriation des outils de créations, opposition entre biens communs et biens propriétarisés, participation volontaire à des projets organisant le travail de manière non-hiéarchique et décentralisée.

Ces créateurs ont utilisé des hacks pour mettre en place différentes formes de résistance utilisant l’informatique et Internet. Leurs œuvres maintiennent en vie l’idéal d’une société où l’information est partagée librement et où nous ne sommes plus des utilisateurs passifs des outils informatiques contrôlés par de grandes corporations, mais où nous sommes plutôt des acteurs actifs qui créent collectivement les outils informatiques que nous désirons. Nous pouvons faire un constat important à partir de ce survol de l’impact de la culture hacker sur la création politique et sur la politique de la création : ce n’est pas tant la croyance aux éventuels effets positifs de l’informatisation qui aura été la motivation politique de la culture hacker, mais l’adhésion à un idéal politique où la curiosité intellectuelle et la créativité, soutenue par une appropriation totale des outils que nous utilisons et par un partage tout aussi absolu de l’information.

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Syndicalisme et informatique libre — Une rencontre possible ?

Syndicalisme et informatique libre -- Une rencontre possible? , publié dans le numéro 63 de la revue À bâbord! et repris sur le site de Ricochet.

On le sait, le syndicalisme vise à défendre les intérêts des travailleurs et des travailleuses et à transformer la société par l’action collective de ceux-ci et celles-ci. Les luttes syndicales ont mené à plusieurs progrès sociaux majeurs comme la fin du travail des enfants, la diminution des heures de travail et l’instauration d’un salaire minimum.

Moins connu, le mouvement pour l’informatique libre vise quant à lui à établir une culture de l’appropriation collective des nouvelles possibilités créées par l’informatique par le partage de l’information technique et par la lutte contre toutes les formes de limitations légales à ce partage. Pour promouvoir cette culture, les « libristes » défendent aussi la liberté d’expression sur Internet, combattent les brevets logiciels, militent pour le libre accès aux publications scientifiques et prennent maintes autres positions connexes.

Lors de la dernière Semaine québécoise de l’informatique libre (du 19 au 27 septembre 2015), l’organisme FACIL, pour l’appropriation collective de l’informatique libre, a tenu une rencontre sur le thème très rarement abordé « Syndicalisme et informatique libre » afin de faire le portrait des liens entre ces deux univers. Ce texte se veut un bilan de cet événement.

On doit malheureusement faire le constat que ces deux mouvements n’ont trouvé pratiquement aucun point de rencontre, même s’ils pourraient être nombreux. Cette situation est déplorable, le mouvement écologiste a pourtant réussi à gagner un certain niveau d’appui syndical. Rien de tel pour l’informatique libre : au Québec, les rares mentions des logiciels libres dans le discours officiel des organisations syndicales portent presque exclusivement sur la question de l’octroi des contrats informatiques gouvernementaux qui, tel que reconnu par la Cour supérieure, exclut sans motif valable les logiciels libres pour favoriser les grands monopoles informatiques.

On doit aussi faire un constat similaire pour les associations faisant la promotion de l’informatique libre : elles n’ont généralement aucune position au sujet de l’informatique au travail ou du syndicalisme chez les programmeurs et programmeuses.

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Entretien avec Jérémie Zimmermann – Plaidoyer pour un Internet libre, ouvert et décentralisé

Issu de la culture hacker, Jérémie Zimmermann est cofondateur et ancien porte-parole de l’association française La Quadrature du Net, un groupe de défense des droits et libertés des citoyen·ne·s sur Internet. Cette organisation « promeut une adaptation de la législation française et européenne qui soit fidèle aux valeurs qui ont présidé au développement d’Internet, notamment la libre circulation de la connaissance ». Elle fait des interventions dans les débats remettant en cause la liberté d’expression, le droit d’auteur, la régulation du secteur des télécommunications ou encore le respect de la vie privée. Zimmerman est aussi coauteur, avec Julian Assange notamment, de Menace sur nos libertés : Comment Internet nous espionne. Comment résister paru chez Robert Laffont en 2012.
Lire le reste de l'article sur le site d'À Bàbord !

par Isabelle Bouchard et Yannick Delbecque

Syndicalisme et informatique libre

Je co-organise pour FACIL, pour l'appropriation collective de l'informatique libre une discussion ouverte à tous sur le thème « Syndicalisme et informatique libre ». Cette activité aura lieu dans le cadre de l'édition 2015 de la semaine québécoise de l'informatique libre. La discussion portera autant sur la non-adoption des logiciels libres par les institutions publiques que sur le lien entre l'informatique libre et l'autonomie professionnelle, en passant par les conditions de travail en informatique et l'exploration des liens entre les positions des organisations syndicales et celles des organisations militantes du libre. Il ne s'agit donc pas d'un exposé sur les positions syndicales au sujet de l'informatique libre -- car il n'y en a pas vraiment ! -- mais d'une discussion pour faire le portrait des liens possibles et pour proposer des idées d'actions. Les organisateurs rêvent que cela mène à une position qui pourrait être reprise par des organisations syndicales ou à une recherche conjointe par ces organisation et FACIL.

La rencontre aura lieu au Cégep du Vieux-Montréal, local 4.01, mercredi le 23 septembre à 18h30.

Mise à jour février 2016: mon article Syndicalisme et informatique libre -- Une rencontre possible? inspiré des discussions ayant eu lieu lors de cette rencontre vient d'être publié dans le numéro 63 de la revue À bâbord! et repris sur le site de Ricochet.

The real privacy problem

Morozov, The real privacy problem, MIT technology review, octobre 2013.

He also recognized that privacy is not an end in itself. It’s a means of achieving a certain ideal of democratic politics, where citizens are trusted to be more than just self-contented suppliers of information to all-seeing and all-optimizing technocrats. “Where privacy is dismantled,” warned Simitis, “both the chance for personal assessment of the political … process and the opportunity to develop and maintain a particular style of life fade.”